SAINT-SEVER, CAPITALE DES LANDES INTÉRIEURES
"À peine atteinte la ville, ça a été la stupéfaction : nous l'avons prise par hasard pour but de promenade, et nous trouvons une magnifique petite ville ancienne, comme abandonnée (c'était dimanche), luxueuse et imposante, qui rappelle Fontarabie." Claude Lévi-Strauss visite Saint-Sever en décembre 1932. Tout au long de la lettre qu'il écrit à ses parents, il décrit la beauté de la ville, de ses édifices et conclut : "Je m'étonne que Saint-Sever ne soit pas plus connue." Si l'église abbatiale jouit d'une certaine réputation, la ville et la campagne environnante sont en effet restées dans l'ombre de son clocher. Pourtant, la ville a hérité de son passé un riche legs patrimonial et la campagne, une authenticité pittoresque.
Déjà appelé Caput de Gascogna à la période médiévale, Saint-Sever jouit d'une position stratégique, à la frontière de la plaine des Landes et du massif de la Chalosse, qui a fait sa réputation. Au pied de la terrasse de Morlanne, s'étend la vallée sinueuse de l'Adour où l'horizon se confond avec la mer des pins. Au sud de la commune, les vallons de la Chalosse se dessinent au-devant de la chaîne pyrénéenne, majestueuse au lointain. Du haut de son promontoire rocheux, aisément défendable, Saint-Sever trône en tant qu'ancienne capitale de la Gascogne.
Vue sur la ville depuis le château d'eau
Des traces d'occupation humaine sont attestées dès l'âge du fer sur le plateau de Morlanne, lieu où la tradition place le légendaire Palestrion du gouverneur romain et, plus tard, la résidence des comtes de Gascogne. Mais c'est sur une butte secondaire qu'est établie l'abbaye bénédictine à la fin du Xe siècle, dont le ressort territorial s'étend "de l'Alphée aujourd'hui appelée Adour à la vallée du Gabas", comme énoncé dans la charte de fondation ; espace qui correspond approximativement à la commune actuelle. Attirés par la richesse du site, des marchands s'établissent autour du monastère et créent un bourg qui ne cessera de se développer, pour former progressivement une des principales agglomérations de la Chalosse. Lieu de pouvoir économique, religieux et politique, Saint-Sever demeure un pôle attractif durant plusieurs siècles. À la suite de l'abbaye, différents ordres religieux s'y implantent, bâtissant des sanctuaires imposants et créant un vaste réseau agricole répondant à leurs besoins.
Outre les ecclésiastiques, de grands propriétaires terriens participèrent à l'aménagement du territoire saint-severin. Ils posèrent les fondements du peuplement rural en ponctuant la campagne de nombreuses métairies et de moulins construits parmi les vignes et les blés qui constituaient les principales cultures agricoles traditionnelles. La plupart s'installèrent dans la ville et se firent bâtir des demeures aux façades sobres mais aux décors intérieurs soignés, comme il est d'usage en Chalosse.
L'opération d'inventaire patrimonial menée en 2015 est née d'une volonté de la municipalité de valoriser les richesses architecturales et mobilières du territoire communal. En collaboration avec le service du patrimoine et de l'Inventaire de la Région, la mission a permis de porter un regard renouvelé sur l'histoire de ce territoire et d'en révéler les ressources patrimoniales. Dans la continuité d'un pré-inventaire conduit dans les années 1970, l'étude récente s'est attachée à analyser l'ensemble des édifices publics et privés comme une source à convoquer pour la compréhension de l'histoire locale. En effet, à l'issue d'une année d'enquête, il est apparu que nombre de bâtiments portaient en eux les strates chronologiques d'une ville reconstruite sur elle-même depuis un millénaire.
Cette enquête participe d'une véritable ambition de la municipalité de proposer des outils de gestion et de valorisation du patrimoine communal, avec, notamment, les projets de création d'un secteur urbain protégé (Site patrimonial remarquable) et de rénovation du musée des Jacobins.
Au-delà de son intérêt architectural, Saint-Sever s'illustre aussi par ses richesses naturelles, caractérisées par une grande diversité de la faune et de la flore locales. L'espace communal, partagé entre les zones humides de la plaine alluvionnaire au nord et les terres argileuses des vallons au sud, a été investi par la polyculture. Bien que la culture de maïs se soit établie dans la région dans les années 1950, la multiplicité des sols et l'hydrographie de la commune ont permis le maintien d'activités traditionnelles telles que la vigne ou l'élevage de volailles fermières réputées. Les sols acides au sommet des collines accueillent des boisements composés de châtaigniers, de pins maritimes et de chênes, alors que les versants humides, plongeant dans la vallée de l'Adour, sont couverts de forêts mixtes. L'Adour qui traverse Saint-Sever d'est en ouest sur 7 kilomètres constitue l'épine dorsale du réseau hydrographique de la commune. Les terres marneuses de la vallée favorisent la croissance des charmes. Contingent aux vallées du Gabas à l'ouest et du Bahus à l'est qui cernent l'espace collinéen chalossais, l'Adour constitue non seulement une voie commerçante privilégiée depuis l'Antiquité, mais est également le réservoir d'un riche patrimoine naturel protégé.
Vue aérienne sur la ville et l'abbatiale
LA FORMATION DU TERRITOIRE
AUX ORIGINES DE SAINT-SEVER
La présence humaine sur le territoire est attestée dès la Préhistoire au sein de plusieurs sites disséminés dans la commune. Des fouilles engagées dans les années 1870 ont exhumé des bifaces et des racloirs en silex taillé, révélant la fréquentation du secteur par des chasseurs-cueilleurs au Paléolithique, au lieu-dit de Marmounet, à la limite avec l'actuelle commune de Montgaillard. Les hommes du Néolithique se fixèrent sur le promontoire de Morlanne. Haches polies, pointes de flèches et poteries témoignent de cette occupation, qui se déplace à l'âge du bronze sur les bords de la vallée de l'Adour, notamment au hameau de Papin. Des fragments osseux disposés dans des tombes plates y ont été découverts en 2000, indiquant la présence significative à l'âge du fer de groupes humains profitant des ressources du fleuve.
L'Adour depuis le pont de Saint-Sever
Les premiers vestiges assurés d'habitat datent de l'Antiquité. Selon les sources anciennes, les deux principales cités des environs sont Dax, Aquae Tarbell-licae, chef-lieu des Tarbelles, et Aire-sur-Adour, connue sous le nom d'Atura. La Table de Peutinger, copie médiévale d'une carte antique indiquant les villes et les routes principales de l'Empire romain, montre l'importance de Dax et de l'Adour, bordé à cette époque de deux routes majeures. Saint-Sever n'y figure pas mais la position de la localité à mi-chemin entre Dax et Aire, sur les bords du fleuve, laisse présumer la constitution d'une petite cité dès l'Antiquité. À ce titre, les chapiteaux de marbre et les fûts de colonne découverts à la fin du XIXe siècle sur la hauteur de Morlanne poussent à croire à l'établissement d'un grand édifice antique. Portant le nom de Palestrion sur la mappemonde du Beatus de Saint-Sever, ce bâtiment est décrit comme le palais du gouverneur romain Adrien dans la Vita tertia de saint Sever rédigée au XIe siècle.
La découverte d'intailles de cornaline et de monnaies romaines dans les environs confirme l'ancrage d'une aristocratie sur de riches et vastes domaines ruraux.
Beatus de Saint-Sever, mappemonde, XIe siècle
La villa du Gleyzia d'Augreilh avec ses deux péristyles, son pavement de mosaïques et son complexe thermal, est certainement l'une des plus fastueuses d'Aquitaine.
Les nombreuses fouilles archéologiques effectuées depuis le XIXe siècle ont révélé des monnaies du Bas-Empire, amenant à envisager une implantation du site au milieu du IVe siècle.
Selon la légende relatée dans sa Vita, saint Sever aurait été à l'origine de la christianisation de la région. Après que Sever l'eut prévenu d'une invasion de barbares, le gouverneur romain Adrien, résidant au Palestrion, se serait converti en 407. Les Vandales, en représailles, auraient décapité le saint au bas de l'actuelle côte de Brille. Plusieurs écrits relatent la construction d'un tombeau en l'honneur de ce saint céphalophore, là où la tradition voudrait qu'il ait porté sa tête.
Dom Du Buisson, moine du XVIIe siècle ayant compilé les Miracula et Vita tertia, mentionne la présence de moines, disciples de l'évangélisateur aquitain Amand arrivés en 668 auprès du tombeau du saint et de l'église proche. Cet édifice est également cité dans la charte de fondation de l'abbaye bénédictine par laquelle Guillaume Sanche, comte de Gascogne, s'oblige à fonder un monastère en lieu et place d'une "petite église". Ainsi, bien qu'aucune preuve archéologique ne l'atteste à ce jour, l'emplacement de l'abbaye bénédictine de Saint-Sever aurait été décidé en fonction du lieu de sépulture du saint patron de la future localité.
La villa du Gleyzia à Augreilh
LE PÔLE ABBATIALE
À la fin du Xe siècle, Guillaume Sanche, devenu comte de la Gascogne majeure vers 960 et désireux d'affermir son emprise territoriale, fait édifier plusieurs sanctuaires qui témoignent de sa puissance. L'abbaye de Saint-Sever, fondée par ses soins en 988, résulte de cette politique locale. Alors que son mariage vers 970 avec Urraca, fille du roi de Navarre, conforte ses relations avec le nord de l'Espagne, Saint-Sever semble être élu lieu de résidence principale du souverain et dès lors, capitale de la Gascogne, "cap de Gascogne".
L'abbaye de Saint-Sever se forme donc au tournant de l'an mil avec à sa tête un abbé du nom de Salvator, désigné par le comte dans l'acte de fondation. Les nombreuses chartes conservées rendent compte des multiples donations accordées aux moines dès les premiers temps du monastère.
Étendant son pouvoir, l'abbaye apparaît au milieu du XIe siècle comme l'une des plus puissantes de la contrée. Grégoire de Montaner, devenu abbé en 1028, accentue cette hégémonie en complétant les donations par des achats de terres.
Progressivement, l'abbaye acquiert une autonomie économique faisant de l'abbé un seigneur incontesté. C'est également sous son ministère, qui dura jusqu'en 1072, que l'église abbatiale est reconstruite selon un parti monumental. Cette entreprise architecturale s'accompagne de la volonté de faire rayonner le souvenir de saint Sever. L'abbé commande à cet effet la rédaction de la Vita du saint et assure la promotion de son culte par la création, notamment, d'un nouvel office à sa gloire engendrant des pèlerinages. C'est également sous Grégoire de Montaner, abbé mécène et ambitieux, que fut enluminé un trésor de l'art roman : le Beatus de Saint-Sever.
L'abbaye et le cloître
Bien que l'existence d'un pèlerinage à Saint-Sever soit attestée dès le milieu du XIe siècle, supposant le développement d'une agglomération, la mention d'un bourg constitué autour de l'abbaye bénédictine n'apparait dans les textes qu'au début du XIe siècle. L'abbé Suavius (1092-1107) concède des statuts à la "ville" et autorise l'édification de fortifications, à l'abri desquelles les habitants peuvent bâtir leur maison et vendre des denrées. Un marché et une foire se tiennent dans le bourg, où transite un volume important de marchandises, attestant une économie solide régie par l'abbé, en tant que seigneur temporel des lieux, et stimulée par les habitants. Ce dynamisme d'une bourgade marchande transparaît dans de nombreuses chartes évoquant la présence de tavernes, boucheries, boutiques de drapier, et autres commerces.
Vue cavalière représentant la ville ceinte de murailles et, à droite, la butte de Morlanne avec le château. Détail du dessin de Dom du Buisson, XVIIe siècle
Parallèlement aux pôles cultuel et économique incarnés par l'abbaye et le bourg, le pôle politique demeure le site du Palestrion sur la terrasse de Morlanne. Après le passage sous domination anglaise à la suite du mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri Il Plantagenêt en 1152, l'ancien site antique, transformé en château comtal, est appelé "Castera de Morlanne" dans un acte de paréage entre le roi Henri III d'Angleterre, son fils Édouard et l'abbé de Saint-Sever en 1270. Ce document témoigne de la volonté du pouvoir anglais en Gascogne de contrôler les secteurs urbanisés. L'influence directe des souverains est également perceptible dans la création d'un établissement conventuel extra-muros : le couvent des frères Dominicains, ou Jacobins, est ainsi fondé entre 1278 et 1280 par Eléonore de Castille, épouse d’Édouard Ier d'Angleterre.
Les liens entre l'abbaye, le bourg et les seigneurs laïcs semblent étroits, en particulier dans le domaine militaire. Les châtelains de la région peuvent faire appel à l'abbé de Saint-Sever qui tient à disposition des milices de bourgeois prêtes à combattre. Du fait de sa position stratégique et de son importance économique, le bourg de Saint-Sever prend part avec vigueur aux épisodes militaires qui, de régionaux, sont en passe de devenir des conflits de plus grande ampleur dans le cadre de la guerre de Cent Ans.
Couvent des Jacobins : façade ouest
GUERRES ET DESTRUCTIONS
Le XIIIe siècle se clôt sur la guerre de Guyenne, opposant le roi de France au roi d'Angleterre duc d'Aquitaine, durant laquelle la ville est assiégée en 1295 par Charles de Valois, frère de Philippe le Bel. À partir de cette date, la ville et l'abbaye connaissent un déclin marqué, amorcé par de nombreux assauts meurtriers et par des rivalités accrues entre la communauté religieuse et les bourgeois. Avec le déclenchement de la guerre de Cent Ans (1327-1453), les dispositifs militaires sont renforcés : le château de Morlanne, notamment, joue un rôle essentiel et Pierre de Cartié, bourgeois, finance la réparation des fortifications à ses frais. Cela n'empêche pas Jean de Pommiers, seigneur de Lescun, stipendié par le roi de France, d'incendier la ville en 1360. À la suite de cette attaque, les bourgeois saint-severins dressent un constat des dégâts, stipulant notamment la destruction de l'ensemble des archives municipales, les "fors et coutumes" qu'ils exposent à Londres afin d'obtenir des aides. L'ampleur de l'assaut relaté dans cette enquête pourrait expliquer la rareté des vestiges médiévaux repérés dans la ville.
Vue de la porte du Touron depuis la ville
Ce n'est qu'en 1442 que la localité rejoint définitivement le royaume de France après plusieurs mois de siège. Durant cette période tumultueuse, la jurade acquiert une autonomie accrue à l'égard de l'abbaye bénédictine. En 1450, elle reçoit l'autorisation de Charles VII d'édifier une seconde enceinte afin de protéger les faubourgs. Cette même année, de nombreux contrats sont passés entre les jurats et des maçons de la ville. À part quelques pans de murs disséminés, seules deux tours circulaires en moellons et pierre de taille sont conservées aujourd'hui. Elles sont percées de canonnières au rez-de-chaussée et au premier étage.
Ce renforcement du pouvoir du corps de ville se poursuit dans la seconde moitié du XVe siècle, avec l'arrivée de nouvelles familles seigneuriales qui s'implantent intra-muros, telles que les Basquiat venus d'Espagne, ou les De Spens originaires d’Écosse. En recourant systématiquement au métayage, ces seigneurs relancent une économie fondée, certes, toujours sur l'agriculture, mais qui s'appuie également sur le commerce. L'Adour devient dès lors l'axe majeur pour le transport des marchandises. Les plus anciens vestiges civils architecturaux conservés correspondent à cette période de reprise et sont les témoignages des nouvelles demeures édifiées par les grandes familles de la région. Des fenêtres de bois sculptées de pinacles dans une maison de la rue Saint-Jean, comme les fenêtres en pierre à l'appui en doucine et encadrement chanfreiné dans la rue des Ursulines et l'impasse Jouliou, sont caractéristiques de cette époque.
Maison 3, rue Saint-Jean : fenêtre de la galerie
A contrario, l'abbaye bénédictine ne tire pas profit de la fin de la guerre de Cent Ans. Comme la majorité des abbayes, elle tombe en commende en 1440. Étant alors dirigée par des abbés non-résidents, l'abbaye ne connaît aucune réparation aux déprédations dont elle fut victime. Les guerres de Religion, ayant opposé catholiques et protestants durant le XVIe siècle, accentuent cet état de délabrement. Le siège mené en 1569 par le comte Gabriel de Montgomery, homme de guerre huguenot à la solde de la reine de Navarre Jeanne d'Albret, met la ville à sac. La violence de l'assaut est évoquée dans l'Historia monasterii sancti Severi de Dom Du Buisson. Selon lui, la majorité des moines aurait péri dans l'attaque, et les fouilles de 1928 dans l'abbatiale ont mis au jour des ossements entassés à une faible profondeur au pied du premier pilier gauche de la nef, qui pourraient être liés à ces exactions. Le couvent des Jacobins, dont la quasi-totalité des bâtiments conventuels est détruite, en subit aussi les conséquences. Pourtant, les métairies environnantes paraissent être épargnées et leur activité agricole n'est pas atteinte par les vicissitudes de la guerre. Avec la paix de saint-Germain signée le 8 août 1570, un calme relatif revient dans la région. Un premier bilan des destructions, qui se révèlent massives, est dressé sur ordre du roi Charles IX en 1571 ; les édifices religieux, les murs d'enceintes et plusieurs maisons de la ville sont en ruine.
Endommagée par les nombreux conflits dont elle fut le théâtre, la ville de Saint-Sever entre meurtrie dans le XVIIe siècle, qui marque le début d'une phase de reconstruction.
Ancienne fortification place de la République
Hôtel Bourrouilhan : façade principale
RECONSTRUIRE LA VILLE ET GARANTIR LA PAIX
Outre les travaux entrepris au couvent des Jacobins et à l'abbaye bénédictine, témoins d'une reprise économique, l'arrivée de nouveaux ordres religieux dans la ville marque la volonté du pouvoir royal de promouvoir la Contre-Reforme en terre protestante. Dès les premières années du XVIIe siècle, les demandes d'autorisation de religieux pour venir créer un couvent à Saint-Sever sont nombreuses, si bien que l'encadrement se fait sévère. Un refus de laisser installer de nouveaux ordres s'ils ne peuvent payer la construction de leur couvent est voté en 1617 par le corps de ville.
Cependant, l'arrivée des frères mineurs ou capucins en 1620 déroge à cette règle, puisqu'ils investissent, dans un premier temps, la petite église de Saint-Girons près de la porte de la Guillerie, au sud-est de la ville ; leur propre église, dédiée à Notre-Dame des Anges et aujourd'hui disparue, ne sera construite qu'en 1724.
La venue des Capucins s'explique par leur mission de vivifier la pensée dogmatique par la prédication, sur le territoire de reconquête catholique qu'est la Gascogne suite aux guerres de Religion. Entre 1630 et 1634, les Ursulines obtiennent l'autorisation d'édifier leur couvent au nord de l'abbaye bénédictine sur l'actuelle place du Tribunal, où elles ont en charge l'enseignement des jeunes filles.
À la fin du XVIIe siècle, la morphologie du territoire constituée depuis le Moyen Âge n'a guère évolué. La ville est encore contenue dans ses enceintes et l'enrichissement des grandes familles a perpétué un réseau de métairies façonnant la campagne environnante.
Nombre de ces aristocrates saint-severins réhabilitent leurs hôtels à cette époque, témoignant ainsi de la prospérité retrouvée. Quelques encadrements de fenêtres surmontés d'un larmier, une date inscrite sur l'une des nombreuses galeries de bois donnant sur jardin, ou encore un arrachement de façade rue Durrieu, laissent imaginer l'ampleur de cette vague de reconstructions.
Maison 13, rue du Général-Durrieu : porte du début du XVIIIe siècle
Comme ailleurs en France à cette époque, le XVIIIe siècle marque le début d'une politique d'aménagement urbain d'importance. L'embellissement des villes à travers l'établissement de places, la construction de nouveaux bâtiments, s'effectue conjointement à des transformations du réseau viaire pour une meilleure desserte des localités. À Saint-Sever, les ponts menant aux portes de la ville sont rebâtis en pierre en 1719, la majorité des arcades du quartier commerçant sont reconstruites et les rues sont en partie réaménagées dans la première moitié du siècle. Progressivement, la localité s'étend au-delà des fortifications, qui ne figurent plus sur le plan de la ville issu du terrier des bénédictins en 1743. Dans la seconde moitié du siècle, de nombreux propriétaires, dont les maisons sont adossées à l'enceinte, obtiennent l'autorisation d'y percer des fenêtres ou des portes. L'amélioration du réseau viaire permet de mieux relier Saint-Sever aux villages voisins. L'accès à la ville ne s'effectuait alors que par le chemin médiéval appelé "côte de Brille". Pentu et étroit, ce chemin devait être remplacé par un accès plus aisément praticable. La montée de Morlanne est ainsi commencée en 1767. Les travaux s'achèvent avec l'aménagement de la place du Cap du Pouy, seuil d'entrée dans la ville, en 1787. Ces multiples aménagements structurant la ville moderne s'accompagnent d'une vitalité économique dont témoigne la fréquence des mentions de métairies dans les documents d'archive. Ce mode de faire-valoir s'impose désormais pour les exploitations agricoles, aussi bien publiques (la métairie du Fourré, par exemple, appartient au roi et celle de Saint-Sarian à la Ville) que d'origine ecclésiastique (Saubierge aux Bénédictins ou Baille aux Ursulines), ou encore privées (la majorité des métairies étant détenues par les grandes familles Capdeville, Lafaurie, Captan, Basquiat...). Cette prospérité amène les propriétaires à réaménager leurs demeures urbaines au goût de l'époque ; des hôtels particuliers sont construits en cœur de ville, témoignant d'une unité architecturale et d'une certaine somptuosité. L'ancrage des bourgeois et de la plupart des nobles est si fort que ces grandes familles ne pâtissent pas de l'épisode révolutionnaire, mais accroissent au contraire leur patrimoine grâce à la vente des biens nationaux.
Quartier du Bas du Pouy
RÉVOLUTION ET BOULEVERSEMENTS
Pierre-Joseph Lamarque et Alexis de Basquiat-Mugriet se rendent aux Etats-Généraux de 1789, ou ils siègent comme députés de la sénéchaussée de Dax, Saint-Sever et Bayonne. Issus des grandes familles saint-severines, ces personnalités politiques n'ont qu'un rôle modeste dans l'approbation des actes révolutionnaires. En revanche, le prestige lié à ces épisodes renforce leur influence à l'échelle locale. Les jurats, représentants du corps de ville sous l'Ancien Régime, conservent leur statut et demeurent garants de l'administration. Dans la première année de la Révolution, les ordres religieux ne sont pas inquiétés, le cahier de doléances de Saint-Sever révélant même une certaine confiance accordée aux Bénédictins. Il y est notamment demandé au roi "de vouloir bien établir un collège dans la ville de Saint-Sever, de le confier aux Bénédictins, qui ont une très bonne maison". Le décret du 29 novembre 1791 à propos des religieux réfractaires engendre une mutation sociétale décisive. Les Jacobins et les Capucins sont chassés de la ville alors qu'une infime partie de l'effectif des Bénédictins demeure dans l'abbaye, qui est progressivement investie par les institutions publiques : tribunal, mairie, sous-préfecture...
Le couvent des Jacobins est transformé par l'architecte communal Saillard en magasin de fourrage et en école centrale, alors que le couvent des Capucins est divisé entre les grandes familles. Seules les Ursulines obtiennent l'autorisation de rester en ville grâce au soutien des habitants et de la municipalité. Les lettres échangées entre le maire Alexis de Basquiat-Mugriet et le préfet des Landes justifient la popularité des religieuses, qui ont à charge d'apprendre "aux petites filles à bien prier et à connaître, aimer et servir dieu, à lire, à écrire, chiffrer et travailler". Elles sont cependant déplacées de leur couvent en 1802 pour s'installer dans l'ancien hôtel particulier Barbotan, rue du Général-Durrieu.
Gravure de l'ancien Hôtel de Barbotan, pensionnat de religieuses Ursulines
La création des départements à l'Assemblée le 4 mars 1790 donne naissance à celui des Landes, divisé en quatre districts : Mont-de-Marsan, Saint-Sever, Dax et Tartas. Saint-Sever est alors choisi comme sous-préfecture, décision qui entraîne l'implantation d'un tribunal révolutionnaire dans les locaux de l'ancienne abbaye bénédictine. Sur la place du Tour du Sol, rebaptisée place de la Liberté, la guillotine est installée durant la Terreur, avec plus d'une vingtaine d'exécutions entre 1794 et 1796. Accompagnées d'épidémies et de famines, ces années sont agitées par les révoltes des habitants de la commune. La fin de l'année 1796 semble marquer un apaisement général. Le conseil municipal agit alors pour moderniser Saint-Sever avec le percement d'une rue menant de la place du Cap-du-Pouy à Morlanne et la translation du cimetière hors la ville. Ces transformations se poursuivent jusqu'au début du XIXe siècle avec l'aménagement d'une gendarmerie et d'une prison au couvent des Ursulines en 1802. La Révolution amorce donc une campagne de restauration des bâtiments publics. Les décrets d'aménagement du territoire émis à l'Assemblée constituante entraînent un nouveau découpage territorial. La commune de Saint-Sever annexe ainsi les paroisses de Sainte-Eulalie, de Boulin, et récupère une partie de celles de Cauna, de Toulouzette et de Montgaillard, étendant ainsi son emprise.
L’ENTRÉE DANS L’ÈRE MODERNE
Poursuivant le processus de modernisation urbaine amorcé à la fin du XVIIIe siècle, le corps politique local entreprend une série de travaux dans la première moitié du XIXe siècle qui adapte le réseau viaire. Les plans d'alignement des rues levés en 1809 présentent plusieurs de ces transformations, notamment dans la rue Lafayette où les arcades au-devant des maisons sont détruites pour élargir la voie publique. Les plans cadastraux de 1809 et de 1844 dévoilent quelques différences structurelles. La rue Agnoutine au nord de la ville et le passage Navarre au sud sont percés dans cet intervalle. Le parcellaire entre l'aile sud de l'abbaye et la rue du Général-Durrieu est modifié du fait de l'acquisition par la municipalité en mai 1826 des anciennes granges bénédictines. La plupart des fonctions publiques, qui avaient été réunies dans les locaux de l'abbaye à la Révolution, sont transférées dans différents sites, adaptés à leur nouvelle affectation. Ainsi, l'architecte communal Saillard réalise des modifications au presbytère situé au premier étage de l'aile est des bâtiments conventuels, dont il reprend l'escalier, doté d'une rampe caractéristique du début du XIXe siècle. Il a également en charge l'installation du tribunal dans l'ancienne chapelle du couvent des Ursulines en 1813. L'hôpital, jusqu'alors installé dans des locaux rue de la Guillerie, est déplacé en 1826 dans l'ancien couvent des Capucins.
La modernisation de la voirie ne s'accompagne que timidement, dans un premier temps, de constructions nouvelles ou de reconstructions civiles en cœur de ville. En revanche, les exploitations agricoles situées dans la campagne environnante connaissent des remaniements importants dus à un renouvellement des procédés de production, ne modifiant cependant pas leur implantation. Les bâtiments sont généralement isolés, même si de nouveaux hameaux se constituent autour d'anciennes fermes, au XIXe siècle, engendrant la formation de quartiers tels que la Loubart à l'est de la commune, l'Escales au sud ou encore Soustas à l'ouest.
Deux grands types d'organisation coexistent sur le territoire. Au sud, des fermes de plan massé, qualifiées par les géographes de "maison-bloc", correspondent à l'architecture agricole chalossaise, avec le logis, l'étable et les pièces d'activité regroupés en un seul bâtiment. Au nord, les édifices présentent un corps de logis complété de dépendances organisées autour d'une cour, se rattachant plus particulièrement aux structures des bords de l'Adour.
Rang de vigne à la ferme du Haut
Ces deux types partagent des caractères communs, tels la prédominance de la façade pignon, de grands toits à longs pans et la présence d'une fenêtre centrale au second niveau destinée à éclairer les combles, révélant une certaine homogénéité des constructions agricoles, reflet d'activités communes.
Une enquête datée de 1852 indique que les labours occupent la part la plus importante des terres, avec 60% de parcelles cultivées. La vigne, représentant 22% des parcelles, est également largement présente, bien que la quasi-totalité des ceps aient depuis disparu au profit de la production intensive de maïs au XXe siècle. Malgré le faible pourcentage de prés recensés dans cette enquête, s'élevant à seulement 5%, la structure des fermes présente systématiquement une étable, témoignant de l'importance de l'élevage dans l'agriculture saint-severine.
Ferme de Magnette
Les transformations de la seconde moitié du XIXe siècle concernent principalement les faubourgs. Mises à part quelques reconstructions de maisons en cœur de ville, le phénomène le plus marquant est l'urbanisation du Péré et du Castallet, conséquence du développement industriel que connaît la ville à cette période. Une série d'infrastructures est réalisée au moment de l'inauguration de la ligne de chemin de fer reliant Saint-Sever à Mont-de-Marsan, Pau et Dax, en 1891, telles que la gare ou encore le pont-cage en fer enjambant l'Adour, construit en 1888 par les forges nivernaises de l'entreprise Fourchambault. Peut-être est-ce le passage du train qui entraîne la réhabilitation de fermes aux environs de la gare dans les années 1890. L'arc segmentaire utilisé pour les ouvertures en brique et pierre est caractéristique de l'architecture de cette fin de siècle. L'emploi de cette forme et de ces matériaux se perpétue jusqu'au début du siècle suivant : quelques fermes du nord-est de la commune sont restaurées dans ce style jusqu'à la Première Guerre mondiale.
LES EXPANSIONS DU XXe SIÈCLE
Au début du XXe siècle, l'influence de l'architecture de villégiature se manifeste à Saint-Sever. Quoique moins nombreuses que sur le littoral voisin, les villas fleurissent aux abords de la ville, sur de vastes parcelles offrant un panorama sur la vallée de l'Adour et sur la chaîne pyrénéenne. À ces villas imposantes s'ajoutent, dans les années 1930, de petites demeures s'inspirant d'un style "néo-régionaliste" basque. Faux pans de bois, façade pignon et toit à forte pente sont autant d'éléments caractéristiques de ce courant véhiculé par des architectes renommés de la région, tel Albert Pomade, bâtisseur de la villa du Castallet ou Henri Despruneaux, en charge du chantier de la villa de Sainte-Eulalie.
Pont-cage de la voie ferrée sur l'Adour
La création de zones pavillonnaires dans les années 1960 témoigne d'un rebond démographique. Le lotissement du Téré à Péré et la cité de Montadour, destinée à loger les militaires réservistes de la base aérienne de Mont-de-Marsan, sont construits en 1964. Le lotissement du Cap de Gascogne au sud de la ville et celui du Beth-Céou à Augreuilh sortent de terre en 1967. Le passé rural de ces secteurs est rappelé par les rares établissements agricoles qui subsistent aujourd'hui encore entre les pavillons. Durant cette période, peu de changements sont à noter en cœur de ville, si ce n'est le percement de la rue du Sénéchal en 1965, qui a pour conséquence la destruction d'une maison de notable.
En dépit de la perte du statut de sous-préfecture en 1924 et de l'arrêt du trafic ferroviaire dans les années 1950, qui excentrèrent quelque peu Saint-Sever du réseau départemental, le maintien d'une cohérence urbaine forte constitue, aujourd'hui, un atout touristique indéniable pour la ville. Le passage de l'un des chemins de Saint-Jacques et la survivance d'un riche patrimoine sont désormais un gage de dynamisme pour la commune.
Pigeonnier du domaine de Fleurus

















